Au sol la nuit profonde nous enveloppe toujours. Notre atmosphère immédiate, recouverte d’un manteau de velours mordoré, semble un univers clos et contrôlé. Comme un univers dans une boite. Un diorama de modéliste.
Les multiples couleurs des lumières de pistes nous content une histoire à la douceur d'une veilleuse de chambre d'enfants.
Les avions vont et viennent dans une danse digne d'un ballet de Petipa. L'éclairage interne de notre aéronef est atténué pour se préparer à l'envol.
Tant mieux ! Nous profitons d’autant plus de la féerie lumineuse extérieure. Soudain nous entendons le souffle rapide d'un avion qui se pose devant nous, tel un dragon revenant à sa tanière. Et le voilà qui passe devant nos hublots, balises clignotantes et reflets flashants, sa robe orangée contribuant à l’illusion. Le souffle s’estompe et le dragon, finissant son dernier plané, se pose plus loin.
C'est notre tour. Un dernier virage nous permet un alignement parfait sur le pointillé de la piste, axe de notre départ, direction de notre mission. Les moteurs sont lancés, les freins lâchés et nous nous élançons.
La vitesse s'accroît tandis que les cahots des premiers mètres s'estompent. Preuve de l'élan, cette pression sécurisante dans le dos qui nous maintient dans le confort du fauteuil.
La magie s'opérant, nous quittons le sol. Les sons et les vibrations prennent la régularité propre à l'engin se jetant avidement dans son élément.
Dehors, l’humidité du petit matin se condense dans les vagues générées par les ailes et crée une trainée de brouillard qui se dissipe aussi vite qu’elle apparaît. Comme si l’avion laissait voler les pans d’une cape magique.
Dans cette zone étroite bordée par un plafond jaunâtre, pendant un court instant nous pouvons nous imaginer dans le rôle de pilotes héroïques partant à l'assaut des spectres lointains. Les éclairages urbains sont les bougies des braves qui saluent notre départ et à perte de vue étalent leurs rubans.
Nous pénétrons une première couche un peu clairsemée et qui n'oppose qu'une résistance de principe mais nous communique tout de même petites secousses et mouvements. À ce moment précis, sous nos ailes, c'est encore la nuit qui règne au sol et garde son emprise sur les terriens. Les nuages d'une faible épaisseur porte une robe d'un dégradé de gris-noir à gris.
Soudainement une surprise nous attend. En perçant le sommet des nébulosités, nous entrons dans le royaume du milieu. Nous sommes entre deux épaisseurs. En-dessous, au travers des trouées éparses, la nuit est la maîtresse. Le matelas nuageux garde cette luminosité particulière éclairée par les lumières des hommes.
Au-dessus, la couche supérieure est claire et manifestement teintée par l'espoir du matin. Son gris est moins profond, enrichi de-ci, de-là par la richesse du spectre de l'aube.
Nous sommes dans un bain de lumière d'à peu près. Ni la nuit, ni le jour. Jaune sombre mélangé à de l'ambre préhistorique et quelques paillettes d'or.
Passage fugace. À peine constaté, nous quittons déjà ce « no time land » et pénétrons la deuxième épaisseur. Plus dense, plus uniforme, elle est paradoxalement moins turbulente à nos ailes et nous la traversons allègrement, sans résistance particulière.
Pour découvrir, pour se libérer, pour renaitre et se détendre dans un ciel de bonheur. Un ciel de vie, avec son espoir et son immensité, où la dimension et la profondeur nous dépasse et nous enveloppe. Pénètre notre âme pour mieux nous surprendre. Au sommet, le bleu pur du matin légèrement hachuré de bandes grisâtres. Au loin perçant tout juste l’horizon un soleil blanc se voit décomposé en mille reflets couvrant la totalité du spectre de l’or, jusqu’à arroser les nuages sous nos pieds de ce bain de luxe. Les contrastes des zones ombragées donnent une amplitude troublante à l’ensemble. On voudrait pouvoir figer le temps et l’instant, tout arrêter pour profiter et vivre, ne serait-ce que quelques secondes de plus, cette vision.
Du départ à maintenant, tout a contribué à ce que le contraste soit saisissant. On est figé par le moment et son incommensurable beauté.
Au minimum c’est beau. Au mieux c’est mystique. Dans tous les cas cela interpelle.
Pendant ce temps, sous les nuages il fait toujours nuit …
… et vous dormez encore.
La dernière photo qui accompagne ce texte en est à l'origine. Le 25 septembre dernier, lors d'un voyage pour Mulhouse, je prenais le premier vol. Comme toujours, je me collais au hublot pour profiter du roulage, du décollage et de la monté initiale. C'est lorsque l'avion est passé par-dessus la deuxième couche de nuage et que j'ai découvert le spectacle que j'ai eu l'idée de tenter de le décrire. Si vous n'étiez pas nombreux à le vivre, je pouvais au moins le partager avec vous.
Bonne lecture et si vous aimez ... partagez !