Un mardi matin. Tôt ! Trop tôt !
Le réveil a déchiré mon sommeil et jeté sous une douche qui, à cette heure, n'est jamais à la bonne température. Après ce ne sont que des gestes automatiques et maintes fois répétés. Pour arriver à la porte du box tel un robot.
Petit moment de lâcheté. Je tire la voiture de ses rêves de Monza aussi brutalement que je le fus de mes rêves de vol. C'est petit ! Je sais.
Et puis la route en direction de l'aéroport. La perspective est plaisante mais les synapses ne sont pas encore toutes complètement établies et des vestiges de léthargie subsistent.
Après le cérémonial du parking c'est avec une certaine délectation que je suis avalé par l'aérogare. Aujourd'hui Paris Orly Ouest. Quelque soit l'heure, c'est toujours un plaisir.
La chorégraphie est toujours la même, mais je vous en ai déjà parlé. Ce sont les passagers qui m’intéressent ici et un type de passager bien particulier : l’impatient.
Enregistrement effectué depuis mon smartphone préféré la veille, c’est le cœur léger que je me présente pour les contrôles de sécurité avant la porte d’embarquement. Et c’est là que va s'épanouir le personnage principal de cette histoire.
Campons d’abord la scène. Orly Ouest, hall 2, 6h20 du matin. La zone de contrôle représente un vaste rectangle avec un premier accès donnant sur un long serpentin de file d’attente pour les passagers lambdas, et un portique pour un accès rapide aux passagers Premium. Jusque-là, c’est très classique.
Ayant la grande chance de voyager régulièrement, je possède très avantageusement ce statut Premium qui me donne un "laissez passer" à la file rapide. Mais, car il en faut un, c’est l’heure de pointe et même cette file ci à un peu d’attente. Rien de très fâcheux puisque deux portique nous sont réservés.
A ce moment, alors que je suis en train d’étaler mes affaires dans les bacs à cet effet pour le passage au rayon, une voix s’élève quelques mètres derrière moi.
« Mais ce n’est pas l’organisation habituelle ! Ce n’est pas normal ! Pourquoi n'y a-t-il qu'une file d’attente ? Ce n’est pas comme d’habitude ! Il faut ouvrir une autre file pour les Priority !»
Forcément, je me retourne pour voir de moi-même la source de ce trouble à notre tranquillité matinale.
Maintenant, je suis certain que dans votre esprit l’image du perturbateur se forme déjà. Cette fois ci il s’agit d’un homme (ne riez pas mesdames je pourrais tout aussi bien faire le portrait d’une femme, j'ai des exemples). Jeune quadra d’environ 1 mètre 75, brun, plutôt maigre avec des lunettes étroites de look plutôt moderne. Aspect général relativement quelconque. En règle général, le type de personnage que l’on ne remarquerait même pas s’il ne faisait pas de bruit. C’est là qu’est l’os hélas (merci Monsieur Oury), ce monsieur a un besoin immodéré de reconnaissance. Et il fait donc du bruit. Et je le vois donc penché à 45° à gauche pour pouvoir dépasser de la file et être bien visible et audible. Et il y arrive très bien car en quelques secondes il en est déjà à la troisième répétition des même paroles, avec un volume sonore en augmentation.
Son intention initiale n’est pas immédiatement claire, au-delà du fait qu’il souhaiterait passer plus vite. Plus vite en général, et plus vite que les autres en particulier. Mais, bénéfice du doute aidant, on pourrait presque croire qu'il veut que cela avance pour tout le monde. Sans exagération tout de même, car il n'a pas l'apparence d'un altruiste.
L’agent responsable du bon déroulement des opérations s’enquièrt très vite de ce qui trouble ce Monsieur et c’est là que l’on découvre qu’en fait, il n’est pas Premium du tout mais qu’il est passé sous le cordon pensant pouvoir aller plus vite car il vient d’entendre le dernier appel pour l’embarquement de son avion. Voyant que même la file Premium a de l’attente en heure de pointe le trouble donc.
Pensant avoir réellement à faire à une urgence, et pensant rendre service, l’agent invite ce monsieur à passer devant tout le monde pour être certain. Fort de ce blanc-seing, le voilà qui dépasse sans ménagement l’ensemble des passagers devant lui, non sans un peu de bousculade.
Bien évidemment, étant autorisé à dépasser ceux qui s’étaient levés à l’heure, dans l'esprit de l'impatient, il est aussi dispensé de toute nécessité de politesse. Que ce soit en bousculant une jeune femme devant lui, en cognant un autre passager avec son sac et même en bousculant mes affaires pour récupérer un bac en plastique. C’est à ce moment que le vieux réac qui sommeille en moi s’est résolument réveillé.
Après un rappel des règles de politesse élémentaires et un point sur l’avantage d’un réveil de qualité dans la préparation d’un voyage, ce passager peu urbain me confirme que ces règles ne s’appliquent pas à lui car « je suis autorisé à doubler et mon vol est en dernier appel ». Sur ce fait, il termine son action en doublant les deux derniers passagers qui obstruaient sa trajectoire et jette ses affaires dans le scanner.
Fin de l’histoire ?
Bien sûr que non, bien entendu !
Ayant moi-même enfin sacrifié aux usages de la sécurité, je retrouve notre passager en salle d’embarquement tranquillement installé et attendant le même vol que moi. Le premier appel à l’embarquement se ferait dix minutes plus tard …