Aucun de mes amis pilotes ne se pose la question. La visite pré-vol se fait en y intégrant les caractéristiques de chaque avion. Quelle que soit sa nature, cette inspection se doit d’être minutieuse et conforme au manuel.
Par contre, il m’arrive, de temps en temps, d’être confronté à la surprise (teintée d’un peu d’appréhension) de certains de mes passagers. Cela arrive lorsque je vole sur un des avions le plus présents dans les aéroclubs français : le Robin DR-400.
DR-400 F-GDEM de l'Aéroclub des Finances à Etampes
Mais pourquoi ?
Tout se passe bien pourtant, jusqu’au moment où je leur explique que cet avion a une structure faite de bois et qu’il en est de même pour les ailes. La preuve, lorsque je tapote dessus ils entendent clairement l’effet tambour. Et là je vois passer dans leurs yeux des images de Wright Flyer et de Blériot XI. C’est tout juste si je n’entends pas « il ne compte tout de même pas nous faire voler sur ce cerf-volant ? »
Il est vrai qu’extérieurement, l’avion ne laisse rien paraître de sa structure. Cette âme vivante et noble est parfaitement dissimulée sous un extérieur lisse. Pas de câble ou de bois visible. La surprise n’est que plus forte.
Et c’est là que la question est invariablement posée : « Mais ce n’est pas en métal, c’est normal ? C’est sûr ? ».
photo prise au Musée Régional de l'Air d'Angers
Messieurs Boeing et Airbus et vos avions métalliques je ne vous remercie pas (même si j’adore ce que vous faites). Mais oui c’est sûr ! Depuis le premier avion construit, le bois n’a jamais quitté la construction aéronautique, même si les matériaux composites le font sérieusement reculer.
Jusqu’à très récemment aucun matériau n’apportait le même compromis de légèreté, de résistance et de durabilité. Par ailleurs, une structure bois apporte souvent une souplesse d’utilisation qui contribue au confort. Les plus curieux me demandent alors d’en savoir plus. Comment est-ce construit ? Comment se fait-il que l’on construise encore de cette façon aujourd’hui ?
photo prise au Musée Régional de l'Air d'Angers
La construction d’une aile en bois est avant tout de l’art. Lorsque l’on observe les détails on ne peut être qu’admiratif. Une telle aile pourrait facilement être le chef d’œuvre d’un Compagnon. A écouter ceux qui l’ont fait, ce n’est pas d’une complexité infinie, par contre il y a plusieurs règles à respecter :
- La qualité et la nature du bois utilisé selon l’emplacement de chaque pièce doit faire l’objet d’une attention bien particulière. On ne met pas n’importe quoi n’importe où.
- Les conditions de température et d’hydrométrie doivent être respectées pour assurer un collage optimal.
- La précision et la patience sont les deux qualités essentielles à avoir pour faire un travail dans les normes.
- Les mêmes consignes s’appliquent pour la toile et sa pose.
Lorsque tout est fait selon les règles on obtient une aile qui peut traverser les décennies sans encombre. J’ai eu l’occasion d’assister à l’inspection d’une aile de plus de 40 ans et le bois n’avait pas bougé. Pas une fissure, ni la moindre tache de vieillissement, de moisissure ou de perte de résistance. Une merveille ! C’était un peu comme pénétrer dans un grenier bien sec où rien n’a bougé depuis des dizaines d’années. Figé dans le temps. On avait l’impression que l’aile avait été construite seulement quelques jours avant. Pendant ces 40 ans elle avait assuré plus de 9000 heures de vol dans toutes les conditions.
Une telle longévité n’est pas rare pour ces avions si, comme c’est souvent le cas, on en prend soin.
En ce qui concerne la résistance, le principe est simple. Nous le savons tous, une banale allumette en bois est facile à casser. Par contre, si vous en prenez plusieurs et que vous les collez ensemble en respectant le sens de la fibre du bois, ils sera tout de suite beaucoup plus compliqué de les casser. Appliquez ce principe à une construction plus grande et vous obtenez une aile extrêmement solide.
photo prise au Musée Régional de l'Air d'Angers
Ce principe de construction, directement hérité de la construction navale, a donné les premiers avions et il fonctionne toujours. Comme le disent les anglo-saxons : « si ce n’est pas cassé, pourquoi faudrait-il réparer ? » En d’autres termes, pourquoi changer une recette qui donne parfaitement satisfaction. Certains avions construits ainsi ont été modifiés plusieurs fois au fil du temps avec des nouveaux moteurs, une nouvelle avionique, mais la structure de l’avion n’a pas bougée. Simplement parce que cela n’était pas nécessaire.
Certes, si l’on marche sur la partie entoilée d’une aile en bois, le pied va traverser. Mais, sauf au moment de monter ou de descendre de l’avion (au sol et à l’arrêt), rien ne touche jamais cette partie-là. Une aile est conçue pour voler. Ce n’est pas une aire de promenade. D’ailleurs, même sur les avions de ligne avec des ailes métalliques il y a des zones interdites, sur lesquelles il ne faut pas marcher.
Si on parle de confort, ces avions en bois et toile apportent souvent une souplesse intrinsèque directement liée à la nature de ces matériaux de construction. Cette souplesse est calculée et souhaitée. Si l’avion était parfaitement rigide il ne résisterait sans doute pas aux conditions de vols classiques. L’environnement permanent de vibrations et d’évolution aurait raison de la structure. Comme un gratte-ciel, l’avion doit avoir une souplesse calculée pour absorber ce que sa vie en mouvement va lui servir. Imaginez s’il n’y avait pas de ligament, de cartilage et de liquide synovial entre vos os ; chaque pas serait une punition. Il est donc plus agréable que ce soit l’avion qui absorbe les vibrations que le passager !
Pour accélérer la construction et assurer une meilleure industrialisation, pour avoir un meilleur contrôle sur l’uniformisation de la production, pour optimiser la qualité finale, les constructeurs d’aujourd’hui utilisent de plus en plus de matériaux composites, des fibres synthètiques. Mais quand on y regarde d’un peu plus prêt, ne sont-ils pas dans la reproduction des qualités du bois et de la toile ?
Et en plus ! Pour mes passagers sur le Robin, si je n'en avais pas parlé, ils ne s'en seraient pas rendus compte !